Sortie 5 & 6 avril – La Trinité

Equipage :
Stéphane S, Patrick H, Clément B, François P, Hervé P, Marion G & Nicolas S


Tout est question d’écoute

Après l’hallali de la dernière sortie les ambitions sont légèrement revues à la baisse, malgré notre légendaire optimisme. Objectif: participer physiquement au challenge de printemps et si possible franchir la ligne d’arrivée. Pour ceci l’équipage a été remanié, Patrick sera en charge de la grand-voile, dans la difficulté place à l’expérience. Hervé se recentre au poste d’embraqueur avec pour consigne de ne pas laisser trop longtemps Clément sans surveillance, les pauses clopes ne pouvant s’effectuer lorsque le spi est gonflé. A l’avant Marion fait ses début en numéro 2, poste qu’elle commence doucement à prendre au sérieux. C’est au détour d’une conversation, à une dizaine de kilomètres de la sortie Sud du Mans, que nous interrogeons Marion sur ses équipements de pluie. Surprise, elle nous rassure en nous disant qu’elle a bien pris un débardeur de rechange pour le dimanche et que ses tongs c’étaient du solide, elles les avaient aux pieds lors de sa descente du Gard en canoé l’été dernier. Avec une si grande confiance en son équipement, nous avons donc du ruser pour l’emmener dans le Décathlon le plus proche de façon à revoir de fond en comble la façon dont il fallait s’habiller. Les gants de cuisines pour hisser le spi, mauvaise idée, un parapluie pour parer aux risées, à éviter, un poncho en cas de grand froid … bon, on peut la laisser essayer. Après une heure d’emplette c’est une Marion façon Seal qui se présentera le lendemain sur le ponton.

L’espoir de podium douché

Nous levons l’ancre à 10h30, après une bonne heure d’attente, la célérité de l’administration SNT n’ayant rien à envier à la CAF d’Aulnay. Petit décrassage avec quelques manœuvres, un repas vite englouti, nous sommes déjà fin prêts pour la première régate. Ça sera un parcours Romeo, deux tours. Après un faux départ de la catégorie qui nous précède nous commençons à piaffer d’impatience, chaque nœud à d’ores et déjà été vérifié une bonne dizaine de fois, les drisses ont tellement de marques que l’on dirait des membres maori, les emballages violets Balisto jonchent le pont. Finalement ça commence, un premier départ assuré nous positionne dans la mêlée. Nous enchaînons les bords de près sans ne rien céder à nos concurrents, chariots réglés au 7, génois creusé, équipage habilement allongé. À l’approche de la bouée tout s’accélère pendant que le vent tombe, mettant chaque skipper dans l’embarras. Impossible d’avancer et difficile de juger qui va la faire, c’est ce moment que choisit le capitaine de l’embarcation nous précédent pour dégoupiller vis à vis d’un malheureux concurrent. « Dégages, mais dégages t’as pas le droit, dégages! », avec 1 nœud de vent tout au plus il semble difficile d’effectuer une quelconque manœuvre de dégagement et ce probable chef de PME, furieux, continue de faire pleuvoir des torrents d’insanités sur l’ensemble de l’équipage. Il finira même par déchirer sa carte du MEDEF pendant que son assistant l’inscrira à la hâte dans la section black-block des Batignolles.

Nous franchissons à notre tour la bouée, lançons le spi et commençons le retour vers le bateau comité. Alors que tout s’était bien passé à l’entraînement voilà que l’écoute a décidé de s’emmêler. Détachée, rattachée, on fuse vers notre ennemi attitré, le vil Mojito. Ses tribulations de la semaine précédente lui offrent désormais une place particulière dans notre cœur aux cotés des ampoules aux pieds et des grugeurs de queue d’hypermarché. Confiants de pouvoir le remonter nous nous approchons de la bouée, hissons le génois … l’écoute est mal passée. Damnation. Je me rue dessus, la défait en un éclair et m’apprête à la rattacher. « Fais tomber le tangon ! », ça commence à s’agiter à l’arrière, profonde respiration je commence mon nœud de chaise, je fais un puit « Oh le tangon ! il ne va pas tomber tout seul », le serpent sort du puit « Il est entrain de rattacher l’écoute » « Mais c’est pas possible ! », il fait le tour de l’arbre « bon on fait quoi ? on rentre ? » et il re-rentre dans le puit. C’est bon advienne que pourra de toute façon si ça ne tient pas je rentrerai en annexe. Je me jette sur le tangon, puis fait tomber le spi, le range et, haletant, ose enfin un regard vers l’arrière. Derrière le sourire narquois du piano, je vois un skipper rouge de colère. Marion, formatée au bonus production, me propose d’aller à l’arrière pour demander un peu de feedback. Je lui conseille plutôt de rester encore un peu devant, en attendant que les esprits s’apaisent et en priant que l’écoute de génois ne pète pas au prochain bord de près.
A l’approche de la bouée, je m‘avance passer le bras de l’écoute dans la mâchoire du tangon quand je constate avec un grand désarroi que la garcette est rompue. Plein de ressource, je sors de ma poche arrière un petit caillou bien rond et commence à tresser une pomme de touline en sifflotant. « Mais c’est quoi encore le problème ?! ». Admettant qu’il me serait difficile d’expliquer l’importance de l’esthétique dans une telle situation, j’abandonne la pomme et exécute un double nœud avant que François ne me dénonce auprès du conseils des sages qui se tient à l’arrière. Mâchoire réparée, spi envoyé, rien ne s’est cassé, on peut souffler. On finira cette première manche avec suffisamment de bateaux derrière nous pour ne pas s’embêter à compter ceux de devant.
En dépit de ce problème d’écoute tout n’est pas à jeter et nous serions même plutôt satisfaits si nous n’avions pas vu le capitaine du Mojito en train d’astiquer le pont de son bateau avec l’éponge qu’il a dument réclamée ce matin aux équipes de TeamWind. Ce péteux à même enfilé ses patins avant de s’attaquer à passer le polish sur ses manivelles de winch. C’est en assistant à ce spectacle navrant que nous ressentons les premières gouttes tomber. En quelques minutes c’est l’équivalent de la consommation annuelle d’eau éthiopienne qui s’abat sur notre bateau. Amuser de voir “capitaine maniaque” sautiller sur son pont avec un rouleau de sopalin en guise d’écope nous mettons du temps avant de réaliser que nous sommes congelés. Nous finirons tous en soute à attendre que ça passe laissant Patrick seul à la barre. C’est donc entassé comme des migrants cherchant à fuir Calais que nous entendons à la VHF une corolle de désistement pour la seconde manche. Sachant que notre force est plutôt dans la résilience que dans la rapidité nous attendons sagement que le bateau comité daigne mouiller ses bouées. C’est chose faite à 17h, le brouillard se lève et étonnamment il reste plusieurs bateaux sur le plan d’eau. Le départ est lancé, et par un prompt hasard nous voilà premier, filant à plus de 8 nœuds sur la mer agitée avec Mojito sur nos traces. Une première remontée au près parfaitement réalisée et un hissage de spi promptement effectué nous sommes en 3em position pour fondre sur la ligne d’arrivée. L’équipage est gonflé à bloc, Clément pompe comme un dément, nous nous rapprochons du second et entrevoyons déjà la remise des prix. La VHF annonce qu’ils vont hisser le drapeau N, la manche est annulée. Consternation n’est pas raison, nous rentrons au port.

Une Dangereuse motivation

Réconfortés par la dernière manche de la veille fut elle inachevée, nous fonçons pleine balle au moteur vers la ligne de départ. Aujourd’hui pas de perte de temps avec les manœuvres, on ne hissera aucune voile avant les 5 minutes précédant le top départ. Dans le carré Stéphane et François analysent la carte, au programme parcours côtier. Après 20 minutes d’analyses Clément ose expliquer à Stéphane que le parcours est simple à comprendre il faut juste aller à la bouée et revenir, un peu comme à chaque fois en fait. Je m’éloigne pour éviter de connaitre la suite, je ne pourrai donc pas bien relater la teneur des propos qui suivirent.

C’est l’heure du départ, fort des conseils reçus il y a deux semaines, je me positionne à l’avant du bateau, genoux à terre, nez au vent, comme un chien de chasse à l’arrêt. La bataille pour la position favorable fait rage et j’aperçois à trois longueurs deux bateaux se rapprochant dangereusement. Aucuns des skippers ne souhaitant céder à cette guerre psychologique, un équipier met son pied en opposition pour éviter le choc des coques. Soudain, sorti de son poste avant comme un diable de sa boite, un équipier adverse lui administre un chassé à mi-hauteur pour le châtier d’avoir osé toucher son bateau. Il peut sembler au lecteur que cette réaction soit exagérée, c’est pourquoi je m’ose à développer une explication.
Vendredi matin, après une semaine de pression intense lié à un contrat toujours pas signé, ce cadre moyen d’une grande société souhaite un bon week-end à sa femme qui pour seule réponse lui envoie « c’est ça, va bien t’amuser avec tes potes pendant que je reste ici faire ta boniche » avant de claquer la porte. Se disant que cela va passer il se glisse dans la rame de RER avec son sac de 80 litres attirant vers lui les regards courroucés de l’ensemble de ses congénères. Il sent son téléphone vibrer, mais trop serré il ne peut regarder. Probablement sa compagne qui lui annonce qu’elle s’est emportée, après tout elle comprend bien toute la pression ressentie ces derniers temps. Enfin arrivé, il déverrouille son écran « tu t’occuperas du ménage en rentrant et lundi c’est toi qui te lève pour le petit ». Profonde respiration, ce n’est rien, voir même la moindre des choses. La journée qui s’annonçait difficile est finalement un enfer, contrat annulé et tout à recommencer. Vous imaginez la suite, 5h de route plus deux de bouchons, le gérant de la location qui lui charge les 20% de pénalité pour arrivée tardive. Le lendemain, 8h durant sous la pluie glacée à attendre une seconde manche qui ne viendra jamais, un retour au port tardif et la vision du vigil du Franprix fermant la grille sous ses yeux sans un geste de compassion. C’est donc le reste de son sandwich mouillé qui lui servira de souper au milieu de ses affaires trempées. Levé aux aurores, les paroles de sa femme lui résonnent encore dans les oreilles « c’est ça, va bien t’amuser avec tes potes …», pour sûr qu’il s’éclate. Il enfile son équipement détrempé, se réchauffe en avalant 5 ou 6 cafés en pensant au péage de St Arnoux bondé. C’est une heure après qu’il se présente sur la ligne de départ, l’épiderme tailladé par le sel et l’humidité, les yeux injectés de sang, la caféine faisant trembler chacune de ses extrémités, il est de toute évidence habité par une motivation qui frise la dangerosité.

Chacun ses problèmes, nous on a pris qu’un café et on est tout de même décidé à bien figurer. Le départ est correct et rien à signaler sur le bord de prêt à part le sauvetage de la noyade du sac de spi. Le temps est plus clément que la veille, nuageux mais pas pluvieux. L’arrivée à la bouée est mouvementée, ce que l’on sait toujours apprécier tant on était habitué à errer dans les bas-fonds de la course refusant d’être remorqué par un élève de l’école de voile locale. Virement impeccable, et retour au largue. Embraques et piano se relaient au pompage du spi pendant que je m’efforce d’éradiquer une famille de moule ayant nidifiée dans ma botte, tout ça pour que le spi ne soit pas mouillé, on a bien moins d’attention à mon égard. Bref, trêve d’état d’âme, c’est le dernier empannage, à ne pas manquer. Bon sous la pression on peut tous respirer et surfer avec le tiers de tête à plus de 12 nœuds vers l’arrivée. On est déjà prêt pour la seconde manche mais tout le monde rentre, le bateau comité n’est pas du genre zélé surtout quand c’est l’heure de manger. Mojito ne goûtera pas notre écume cette année mais il sait d’ores et déjà à quoi s’en tenir pour l’année prochaine.

Nicolas S.

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